Revue Envol

Revue biannuelle qui est écrite par les membres, pour les membres !

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Est-ce que 4 + 22 % = 22 % + 4 ?

(Ou la richesse mathématique du concept de %)

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Jérôme Proulx

Le titre de l’article soulève une drôle de question. C’est intentionnel, tout autant que c’est une question qui nous a beaucoup interpellés comme équipe de recherche dans notre préparation en vue de nos différentes expérimentations autour de la notion de % en classe de mathématiques1. Alexandre Pratt, journaliste sportif à La Presse, utilise souvent l’expression « votre cerveau va exploser » pour présenter diverses statistiques sportives surprenantes. Parce que ces statistiques font souvent intervenir des %, j’ai cru la formule tout à fait appropriée pour aborder la question du titre, soit « Est-ce que 4 + 22 % = 22 % + 4 ? ». Je vous propose de l’explorer en certains détails.

Réponse n1 : « Oui, évidemment ! »

La première réponse qui vient en tête est probablement « Oui, évidemment ! », car l’addition est commutative en mathématiques et les % n’y échappent pas. Que 4 soit additionné à 22 % ou que 22 % soit additionné à 4, rien ne change. La réponse est la même, car, en convertissant 22 % en 0,22, les égalités « 4 + 22 % = 4,22 » et « 22 % + 4 = 4,22 » sont obtenues. Voilà notre commutativité en action, c’est-à-dire que 0,22 et 4 peuvent être permutés sans rien changer : 4 + 0,22 = 0,22 + 4.

Mais, est-ce que 22 % donne toujours 0,22 ?

Réponse n2 : « Peut-être pas tout le temps »

La considération de la valeur du 22 % peut aussi faire osciller la réponse initiale vers un « peut-être pas tout le temps » pour considérer si 4 + 22 % est égal à 22 % + 4. Premièrement, est-ce que 22 % vaut toujours 0,22 ? Bien sûr que non ! Si vous achetez un jeans de 50 $ et qu’il y a un rabais de 22 %, vous ne seriez pas très en accord avec l’employé qui vous demande de payer 49,78 $ (obtenu en soustrayant 0,22 à 50). Vous voulez en effet que le 22 % soit relié au 50 $ pour donner 11 $ de rabais et payer le jeans 39 $. Toutefois, est-ce que 22 % vaut maintenant toujours 11 $ ? Pas du tout. Il vaut 11 $ relativement au 50 $. C’est pour cette raison qu’un % est souvent appelé un nombre-index (Berry et autres, 1999). De tels nombres sont dits index, car ils servent à pointer vers quelque chose d’autre. Dans ce cas, le % pointe vers un partitionnement de son tout de référence. Tel que l’affirme Gauvrit (2014, p. 26), donnés seuls, sans leur tout de référence, les % sont « vides, intraitables ». Autrement dit, les % sont toujours liés à leur tout de référence.

Ainsi, les % n’étant pas des nombres à proprement parler, une sous-question à poser pour ce 22 % est alors « 22 % de quoi ? ». Parce qu’il est lié à un tout de référence, le % de quelque chose n’équivaut pas nécessairement au même % de quelque chose d’autre. Par exemple, avoir 22 % de 6 millions n’est pas équivalent à avoir 22 % de 12. Comment trouver le tout de référence du 22 % ? Dans « 4 + 22 % », avec la présence du 4 devant le 22 %, il est possible de lire cette expression comme étant « 4 + 22 % de 4 », ce qui revient alors à « 4 + 0,88 = 4,88 ». En ce qui concerne le « 22 % + 4 », le 22 % étant écrit avant le 4 rend possiblement un peu plus douteuse l’association du 22 % et du 4. Mais, cette association est tout de même possible avec « (22 % de 4) + 4 = 4,88 », conservant l’égalité entre « 4 + 22 % » et « 22 % + 4 ».

Par contre, l’expérience d’avoir questionné mon entourage à de nombreuses reprises me révèle que « 22 % + 4 » se traduit fréquemment par la valeur 4,22. Comment ceci est-il possible en considérant le tout de référence du 22 % ? Il faut alors lier le 22 % à un tout de « 1 », ce qui donne « (22 % de 1) + 4 = 0,22 + 4 = 4,22 ». Ici, et contrairement à la première réponse faisant la conversion directe entre 22 % et 0,22, le 22 % n’est pas le nombre 0,22 mais vaut plutôt 0,22 parce qu’il est lié à un tout de référence de 1. Il s’agit certainement d’une petite nuance, mais elle devient importante concernant le sens donné au % et à son tout de référence.

Dans ce cas, avec « 4 + 22 % = 4 + 22 % de 4 = 4,88 » et « 22 % + 4 = (22 % de 1) + 4 = 4,22 », la réponse à la question initiale devient « non »… ou plutôt « peut-être pas tout le temps », car il est primordial de clarifier quel est le tout de référence de chacun des 22 % avant de répondre. Ici, autant « 4 + 22 % » que « 22 % + 4 » peuvent valoir 4,22 ou 4,88 selon le tout associé aux %. En même temps, l’ordre, soit écrire le 4 ou le 22 % avant ou après l’autre, rend peut-être l’association à un tout de référence de 4 ou de 1 plus « naturelle » pour certains. De là aussi la réponse de « peut-être pas tout le temps ».

Mais, est-ce que ceci signifie que l’ordre peut jouer un rôle dans la réponse ?

Réponse n3 : « c’est selon l’ordre »

Cette troisième réponse peut se voir comme étant directement issue du travail avec une calculatrice. Si vous entrez « 4 + 22 % » dans une calculatrice de poche, la plupart donnent 4,88 comme réponse, reliant le 22 % au 4. Si vous entrez toutefois « 22 % + 4 », ces mêmes calculatrices donnent souvent 4,22 comme réponse, en prenant le 22 % directement comme étant égal à 0,22. Est-ce que ces calculatrices associent le 22 % à un tout de référence de 1 ? Il est possible d’en douter, car la conversion numérique directe entre 22 % et 0,22 est fréquente dans ce genre de calcul (voir aussi l’encadré sur ChatGPT). Et, dans ces cas, l’ordre jouerait un rôle pour la réponse, où la commutativité ne serait pas prise en compte pour ces calculatrices avec ce type de question.

figure 1
figure 1

Il est aussi possible d’obtenir une autre réponse à « 22 % + 4 ». En effet, certaines calculatrices ne vous permettent pas de compléter votre question, car, dès l’entrée de « 22 % », elles indiquent « Erreur » sur l’écran. L’ordre semble ici encore pouvoir jouer un rôle dans la réponse obtenue pour « 4 + 22 % » et « 22 % + 4 ». Il est possible de présumer que la calculatrice en question exige que le % soit en tout temps lié à un tout de référence et que son entrée initiale n’offre pas cette information, de là la mention « Erreur ».

Mais, quel peut bien être ce tout de référence ?

Réponse n4 : « Ça dépend »

Depuis le début, deux réponses se confrontent pour chacun des membres de l’égalité, soit 4,22 et 4,88. Toutefois, est-ce que ce sont les seules réponses possibles ? Ou encore, dit autrement, est-ce que 4 et 1 sont les seuls touts de référence possibles pour 22 % ? La réponse surprenante « Erreur » de la calculatrice nous permet d’en douter, car sa programmation aurait pu réussir à cibler un tout de référence ou encore prendre 1 ou 4 pour 0,22 ou 0,88. Cette « Erreur » ouvre sur une infinité de possibilités pour le tout de référence, qui demeure dans ce cas à fixer. Dans « 4 + 22 % » ou « 22 % + 4 », bien que ceci puisse sembler logique aux premiers abords, rien ne dit que le 22 % soit rattaché à 4 ou à 1. Ce 22 % peut être un 22 % de 12, un 22 % de 1419, un 22 % de 8, un 22 % de 72,5, et ainsi de suite2.

Avec cet ensemble de possibilités pour le référent de 22 %, il est difficile d’arriver à une égalité avec « 4 + 22 % » et « 22 % + 4 ». En ce sens, comme le % est toujours relatif à un tout, et que celui-ci n’est pas annoncé, une réponse est alors « ça dépend ».

Mais, est-ce adéquat d’avoir des référents différents pour 22 % dans la même égalité ?

Réponse n5 : « Il le faut »

Dans son livre What is mathematics, really?, Ruben Hersh explique qu’une preuve mathématique ne dit pas que ce qui est prouvé est vrai, mais plutôt que ce qui est prouvé « se doit d’être vrai ». Il fait alors référence à la structure et cohérence mathématique interne qui mène à des conclusions véridiques sur le plan mathématique (et non des vérités au plan absolu et théologique). De la même façon, malgré les différentes possibilités pour le tout de référence du 22 %, l’égalité « 4 + 22 % = 22 % + 4 » se doit d’être vraie. Pourquoi ? Au-delà de la commutativité, qui est au mieux une propriété qui pourrait être ou est « évitée » dans certaines situations, c’est la notion même d’égalité qui est en jeu. Il peut être affirmé qu’il serait totalement tordu d’accepter mathématiquement qu’une même égalité réunisse un tout de référence différent pour chacun des deux 22 % de l’égalité. Ainsi, ici, quel que soit le tout de référence choisi pour le premier 22 %, le suivant aura le même tout de référence. Si « 4 + 22 % » se lit « 4 + 22 % de 4 », alors « 22 % + 4 » se lira « (22 % de 4) + 4 » ; et si « 4 + 22 % » se lit « 4 + 22 % de 1 », alors « 22 % + 4 » se lira « (22 % de 1) + 4 ». À ce moment, cette même « ligne » ou égalité est cohérente et, avec le même référent, mènera non pas à la réponse « oui », mais plutôt à celle « il le faut ».

Mais, qu’en est-il du 4 ?

Réponse n6 : « Les deux valent la même chose. »

Poussons l’idée un peu plus loin. Si la nature d’une égalité impose que le référent soit le même sur tout son long, ceci impose aussi que le 4 possède le même référent que le 22 %. Évidemment, l’habitude nous mène à penser que 4 signifie « le nombre 4 » ou encore « 4 unités » ou « 4 fois l’unité de 1 ». Si c’est le cas, autant les 4 que les 22 % doivent référer à l’unité de 1. La réponse des deux côtés de l’égalité donne alors « 4 + 22 % = (4 de 1) + (22 % de 1) = (22 % de 1) + (4 de 1) = 4,22 ». La réponse devient « les deux valent la même chose ». Ici aussi, ce n’est pas la convocation de la notion de commutativité qui produit cette réponse, mais l’exigence de cohérence interne à l’égalité mathématique.

La même chose se produit si c’est plutôt le référent du 22 % qui prime. Ainsi, avec le « 4 + 22 % » traduit en « 4 + 22 % de 4 », le 4 doit référer aussi à ce tout de 4, à une unité de 4 ou encore à une « quatraine ». Cette conservation du même tout donnerait « 4 + 22 % = (4 de 4) + (22 % de 4) = 16 + 0,88 = 16,88 ». La même chose est à faire pour l’autre partie de l’égalité, par exigence de cohérence, soit (22 % de 4) + (4 de 4) = 0,88 + 16 = 16,88. Ici encore, la réponse « les deux valent la même chose » est donnée.

Mais, le 4 peut-il être « lu » autrement ?

Réponse n7 : « 4 quoi ? »

Au-delà de donner une valeur en unités au « 4 », il m’est arrivé de croiser des interprétations en pourcentages du 4. Par exemple, avec des questions du type « Que vaut 50 % + 3 ? », j’ai déjà obtenu la réponse 53 % de certains élèves. Dans ces cas, alors que je pensais que ces élèves étaient tombés dans la conception erronée bien connue d’ignorer le signe % et d’agir comme si c’était le nombre 50 (et non 50 %), ceux-ci m’ont expliqué que le 3 était en fait un 3 %. J’avais semble-t-il simplement oublié « par paresse » d’écrire le signe % et donc ma question était bel et bien « Que vaut 50 % + 3 % ? ». Ce sont aussi les justifications de certains élèves qui sont du bonbon, tel que :

Tu fais juste 50 + 3, ça fait 53 %. C’est comme de la logique. Exemple, tu as eu 50 % à l’examen et là tu dis à ton prof qu’il manque 3 points et il va te rajouter 3 points et il va faire 50+3.

Voilà qui est assez éloquent ! Sans faire le procès du caractère adéquat ou non du 53 % (ce que j’ai abordé ailleurs relativement à la pratique des points bonis en examen dans Proulx, 2024), associer le 4 à 4 % en attribuant des % à toutes les données de l’égalité est peut-être surprenant, mais permet aussi de stabiliser la nature de l’égalité. À ce moment, « 4 % + 22 % = 22 % + 4 % », et par cohérence interne l’égalité, est vérifiée puisque le tout de référence doit être le même pour tous.

Figure 2
Figure 2

En conservant l’intérêt des % pour le 4, il est aussi possible de le transformer en %. Dans ce cas, la réponse habituelle est que 4 = 400 % et « 4 + 22 % » donne 422 %. Idem pour « 22 % + 4 = 22 % + 400 % = 422 % ». Bien qu’attrayante comme possibilité, elle passe outre la question du tout de référence, car 400 % ne vaut pas toujours 4. Cette conversion directe de 4 = 400 % n’est utile que sur le plan des calculs (par ex. : 400 % de 12 = 4 × 12 = 48) ; et non comme valeur directe où, par exemple, 4 peut valoir 50 % s’il est relatif à 8 (50 % de 8 = 4). De là, le « 4 quoi ? » comme réponse à la question.

Mais… ok !

Quelques mots en guise de conclusion

Si le tourbillon des différentes réponses ne vous a pas complètement aspiré dans les limbes du %, ou encore si votre cerveau n’a pas explosé, quelles conclusions tirer de cette question initiale « Est-ce que 4 + 22 % = 22 % + 4 ? » ? Repasser à travers toutes les options, de 4,22 à 4,88 en passant par « Erreur » et différentes valeurs pour le 4, n’est pas aussi intéressant que les chemins parcourus pour s’y rendre. En ce sens, les différentes interprétations de la question par l’ordre, le référent, la variabilité, etc. montrent toute la richesse au cœur de la notion de %.

Et, quelle que soit votre réponse préférée, ou encore si vous croyez qu’il n’y en a qu’une seule, ce qui m’apparaît fascinant est la présence de cette diversité d’interprétation du % autant dans les écrits professionnels et scientifiques, que dans les outils de références (dictionnaires, lexiques, manuels, etc.). Les divers points d’entrée sur les questions de % sont abondants et variés, soulignant ici encore toute la richesse de cette notion mathématique.

Qui plus est, mes visites en classe du primaire et du secondaire me confirment aussi que cette richesse est autant présente chez les élèves en mathématiques. De quoi profiter de ce terrain fertile pour amorcer d’excellents débats mathématiques sur le plan conceptuel ! Que pensez-vous en effet que répondraient vos propres élèves à la question « Est-ce que 4 + 22 % = 22 % + 4 ? » ?


[1] Je remercie les membres du Laboratoire Épistémologie et Activité Mathématique, et les étudiants du MAT866A à l’Automne 2024, avec qui j’ai abordé à différents moments et de diverses façons les enjeux autour de cette question.
[2] Ce 22% pourrait même être un 22% de 19%, mais ceci ne nous avancerait guère, retournant dans une même boucle pour trouver le référent de 19% …

Références

  • BERREY, J. et al. (1999). Dictionary of mathematics, Fitzroy Dearborn : Chicago.

  • GAUVRIT, N. (2014). Statistiques, méfiez-vous ! Ellipses : France.

  • HERSH, R. (1997). What is Mathematics, Really? New York : Oxford University Press.

  • PROULX, J. (2024). Column A – Musing on percentages : exam scores and bonus points. Ontario Mathematics Gazette, 63(1), 36-37.

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